Le metaverse vient tout droit du monde du jeu vidéo. Il désigne un monde virtuel fictif mais néanmoins immersif dans lequel les utilisateurs peuvent se retrouver pour échanger, collaborer mais aussi apprendre. Quoiqu’encore balbutiant, le concept, popularisé par Facebook, devenu « Meta », suscite l’attention du secteur de la formation professionnelle.
Le metaverse, qu’est-ce que c’est ?
Le mot metaverse est la contraction de meta, qui signifie au-delà, et d’univers. Si le sujet fait actuellement parler de lui, il n’est pas nouveau pour autant. Dès 1992, le romancier de science-fiction Neal Stephenson décrivait, pour la première fois, un lieu imaginaire appelé metaverse dans son ouvrage Le Samouraï virtuel. Trente ans après, ce sont les géants comme Meta, Microsoft et Epic Games qui en font leur nouveau dada. « Le metaverse provient de deux mondes : celui du jeu vidéo et celui des technologies de réalité virtuelle et augmentée. On pourrait le définir comme un lieu qui juxtapose le réel et l’irréel, au sein duquel les utilisateurs peuvent se retrouver pour interagir », explique Fabienne Bouchut.
Ce monde virtuel est composé de plusieurs espaces distincts et peuplés d’avatars contrôlés par des utilisateurs. Il est accessible via des équipements connectés, notamment des casques VR ou depuis un ordinateur, sans lunettes 3D, via un simple lien URL. « La particularité de ces espaces, c’est qu’ils ont été créés pour être à la fois les plus familiers et les plus ludiques possibles. Il n’y a pas forcément une grande rupture avec ce que les utilisateurs connaissent dans la vraie vie »,indique-t-elle.
Metaverse : quels avantages pour la formation ?
Un lieu de sociabilisation virtuel
Le metaverse offre plusieurs avantages en matière de formation professionnelle. Son principal atout : un lieu (infini) de sociabilisation au sein duquel plusieurs participants peuvent se déplacer et avoir des interactions. « Ce qui n’était jusqu’ici guère possible avec la réalité virtuelle », souligne Fabienne Bouchut. Il peut donc avoir du sens pour les actions de formation qui se déroulent à distance, notamment lorsque les apprenants sont géographiquement éloignés mais qu’ils souhaitent apprendre ensemble au sein d’une salle de classe commune, quoique virtuelle. « En cela, le metaverse pourrait bousculer le marché des classes virtuelles, d’autant qu’aujourd’hui, les apprenants souhaitent être actifs devant leur écran », explique-t-elle.
Expérientiel et gamification
Le metaverse est une technologie qui se prête bien à la réalisation de travaux collaboratifs entre apprenants (par exemple pour des ateliers de design thinking ou des ateliers de brainstorming s’appuyant sur des méthodes d’intelligence collective). Cette modalité pédagogique s’avère également intéressante pour les actions de formation nécessitant de se mettre dans la peau d’un autre protagoniste (client, manager, collaborateur…) « Puisque dans le metaverse, l’apprenant peut se déplacer. Il peut par exemple travailler ses techniques de vente et d’argumentation s’il s’agit d’un vendeur, comme s’il était dans un vrai magasin ». Comme toute approche pédagogique basée sur l’expérientiel, le metaverse permet enfin d’améliorer l’ancrage mémoriel. « D’autant plus si on y ajoute une couche de gamification, par exemple si on organise un escape game virtuel pour s’approprier une méthode de travail », illustre Fabienne Bouchut.
Les cas d’usage sont encore peu nombreux
Les cas d’usage d’actions de formation dans le metaverse sont pour l’instant relativement rares. « Le metaverse en est à ses balbutiements. Les grands acteurs comme les GAFAM développent encore leurs propres metaverse avec beaucoup de difficultés », rappelle Fabienne Bouchut.
Exemples d’utilisation du metaverse en formation initiale
Pour l’instant, c’est dans le domaine de l’éducation que les expérimentations sont les plus nombreuses. En France, le Conservatoire national des arts et métiers (CNAM) a par exemple créé un metaverse permettant aux étudiants et enseignants du projet JENII d’interagir dans une salle de TP immersive. En dehors de nos frontières, l’université de Hong Kong s’est, elle aussi, lancée dans l’aventure. Elle propose aux étudiants de son campus de Guangzhou de vivre la même expérience d’apprentissage que les étudiants d’Hong Kong, grâce à des casques VR. Même approche aux États-Unis, où le projet « Métadiversités » réunit une dizaine d’universités souhaitant dispenser des cours d’anatomie humaine, d’histoire ou d’astronomie dans un campus 100 % virtuel, à l’image de celui développé il y a quelques mois par Neoma Business School en France. L’intérêt, par exemple dans le domaine de la santé, étant de permettre aux étudiants de pratiquer des gestes techniques sans prendre aucun risque sur un vrai patient.
Exemples d’utilisation du metaverse pour la formation en entreprise
Voyant les opportunités offertes par le metaverse, certaines entreprises réalisent également des expérimentations dans ce monde virtuel, dans l’objectif d’y former leurs collaborateurs. C’est par exemple le cas du constructeur ferroviaire Alstom. Dans le cadre de la conception du « TGV du futur », l’entreprise s’appuie sur la réalité virtuelle d’un metaverse pour accélérer la formation à la conception industrielle, notamment les phases de recherche, de design, de prototypage… Une expérience qui a permis aux équipes de gagner en efficacité et en agilité. Le groupe Accenture accélère également sur le sujet. En Australie et en Nouvelle-Zélande, plus de 2 000 nouvelles recrues ont été onboardées via le metaverse de l’entreprise « One Accenture Park ». L’intérêt est ici logistique : c’est un volume de collaborateurs que l’entreprise n’aurait pas pu accueillir en une seule fois dans ses locaux. Autant d’initiatives inspirantes, selon Fabienne Bouchut, qui pourraient influencer le monde de la formation professionnelle, « encore pauvre en cas d’usages ».
Une nouvelle posture pour le formateur
En offrant un nouveau terrain de jeu aux apprenants, le metaverse questionne la posture du formateur. Durant la phase d’acculturation, qui devrait durer plusieurs années, on attendra de lui qu’il rende le metaverse convivial. C’est-à-dire qu’il fasse en sorte que les apprenants s’y sentent suffisamment en sécurité pour interagir. L’onboarding puis l’inclusion des apprenants constitueront donc ses premières priorités. Une fois que la technologie s’effacera au profit de l’usage, le formateur devrait ensuite revêtir un rôle de facilitateur et d’animateur de la formation dans le virtuel. « Comme l’un des intérêts du metaverse réside dans la possibilité de socialiser, le formateur du futur sera chargé d’organiser l’apprentissage dans les différents espaces propices à un ancrage sensoriel. Dans ces espaces, des protagonistes pourront se faire représenter par des avatars qu’ils auront personnalisés. Le metaverse pourra ainsi faciliter l’expérientiel pour que chaque apprenant soit surpris, s’entraîne, dialogue et soit donc acteur dans sa formation », explique Fabienne Bouchut.
Dans le metaverse, le formateur sera également attendu sur un autre sujet : la conception pédagogique dans le virtuel. « Il devra prendre en considération la possibilité de se déplacer, de dialoguer en 3D, de prendre en main des objets, d’utiliser des espaces porteurs de sens, tout en veillant à ce que la surcharge cognitive des apprenants ne soit pas un obstacle à l’apprentissage », précise-t-elle.
Des freins techniques, technologiques et économiques
Avant d’en arriver là, le metaverse devra toutefois contourner des obstacles de taille, à commencer par l’équipement. Les casques de réalité virtuelle, les lentilles de réalité augmentée, les gants haptiques… permettent, certes, une expérience immersive. Pour autant, en plus d’être encore onéreux, « ces équipements ne sont pas suffisamment confortables pour être portés plusieurs heures, notamment en formation », constate Fabienne Bouchut. Certains usagers se plaignent par exemple de maux de tête suite à une expérience immersive dans le metaverse. L’autre obstacle est plutôt technologique : la puissance des serveurs ne permet pas encore d’assurer une stabilité des plateformes virtuelles. Résultat : les utilisateurs, qui pourraient se retrouver par centaines ou milliers simultanément dans le metaverse, ne peuvent échanger qu’à l’échelle de l’espace qu’ils ont choisi, limitant ainsi le nombre d’interactions possibles.
Une modalité d’apprentissage comme une autre
Quoiqu’il en soit, même s’il se démocratise ces toutes prochaines années, le metaverse devrait rester une modalité pédagogique parmi tant d’autres. En cela, il ne pourra pas se substituer au présentiel, à l’e-learning, à la classe virtuelle… « Il est peu probable qu’on voit émerger des parcours de formation 100 % dans le metaverse. Certains modules d’une formation pourront toutefois l’être, dans une logique de blended-learning », estime notre experte.
Concrètement, une formation commerciale pourra par exemple être multimodale. Elle pourra être composée d’une session en présentiel pour aborder les fondamentaux, d’exercices en e-learning pour vérifier les acquis et de mises en pratique via le metaverse. Les apprenants s’y entraîneraient par exemple à exercer leur métier comme dans le réel en interagissant avec des clients. Pour aller vers cette multimodalité, il faudra toutefois questionner la valeur ajoutée du metaverse. « On peut supposer qu’elle n’en aura pas pour toutes les disciplines de formations, notamment celles axées sur la réglementation, le juridique voire les processus », conclut-elle.